Sorti sous Ziplock en 2008 chez VPG, No Retreat! avait séduit de nombreux joueurs par la simplicité et la pertinence historique de ses mécanismes. Deux extensions (Na Berlin! et No Surrender!) vinrent compléter le jeu. Étant donné son succès, GMT a repris le jeu et en a sorti une version Deluxe comprenant les deux extensions. Mais qu’apporte-t-elle de plus par rapport à la version originale ?
HERVÉ BORG – VaeVictis 104 (mai-juin 2012)

Premier changement, et de taille, le jeu est désormais en boîte ! La carte originale était une feuille A3 pliée en deux, avec une extension apportée par Na Berlin! La version GMT est plus grande, avec des hexagones plus larges et même quatre rangées d’hexagones supplémentaires à l’Est. Surtout, cette carte est cartonnée comme les jeux Avalon Hill de la grande époque et constitue, en fait, un véritable plateau de jeu, couvrant la partie occidentale de l’URSS ainsi que les pays d’Europe centrale et orientale avec Berlin, Vienne et Prague. Par contre, la Finlande n’est représentée que par une zone au-dessus de Leningrad.
Les pions sont assez grands et réellement prédécoupés. Ici, pas de besoin de cutter pour s’assurer d’un découpage propre, ce qui est assez agréable. Les unités sont illustrées par des symboles OTAN, mais un deuxième jeu de pions est prévu pour les unités blindées avec cette fois des silhouettes de char. Si la carte et les pions sont très réussis, les autres éléments le sont un peu moins. Les aides de jeu au format A4 font regretter les aides originales – en A5 – finalement plus maniables. Les cartes à jouer, quant à elles, sont bien plus élégantes, mais manquent un peu de charme. Toutefois, ces réserves sont mineures : le jeu mérite incontestablement son label « Deluxe ».
LE FOND
Nous avions déjà critiqué le système de No Retreat! dans le numéro 90 de VaeVictis. Toutefois, nous allons en rappeler les grandes lignes. Le pari de base du jeu était de simuler toute la guerre germano-soviétique avec 40 pions, plus une trentaine de marqueurs. Étant donné qu’il s’agit du plus formidable conflit de tous les temps, cela parait osé. Et pourtant ça marche ! Grâce à des hexagones de 100 km, des tours de deux mois et des règles très malignes.
Ainsi, le tour de jeu de chaque joueur est on ne peut plus basique a priori : mouvement puis combat. Il n’y a ni réaction ni exploitation. Par contre, les unités blindées peuvent avancer jusqu’à 3 hex. pourvu que le temps et le terrain soient clairs. Vu l’échelle du jeu, cette avance de 3 hex. peut s’avérer déterminante.
Par ailleurs, No Retreat! emploie des cartes à jouer, mais on ne peut pas le classer comme un CDG (Card Driven Cames) car, comme dans un jeu de stratégie classique, chaque joueur peut bouger l’intégralité de ses unités lors de son tour sans l’aide de ses cartes. Sa main est constituée de 4 à 6 cartes affichant deux événements: un pour l’Axe, l’autre pour le soviétique. Ces événements peuvent être déclenchés à différentes phases du jeu : par exemple pour gagner des renforts au début du tour (carte « Transfert de troupes ») ou pour relancer le dé lors d’un combat (carte « Héros de l’Union soviétique »).
La grande originalité de ces cartes, c’est que des symboles sont associés à certains événements signifiant qu’ils ne peuvent être joués qu’à certains moments: une croix noire nécessite que l’Axe ait l’initiative (de juin 1941 à mars 1943) tandis qu’une étoile rouge ne peut servir que lorsque le Soviétique prend l’initiative (après mars 1943).
Ainsi, il arrive fréquemment que l’on se retrouve avec des cartes « injouables ». En fait, ces cartes pourront être dépensées différemment : pour reconstruire des unités ou bien pour lancer des contres après que l’adversaire a déclaré ses combats. Cette notion de « contre » est assez inhabituelle. Elle permet au défenseur d’obliger l’attaquant à l’agresser à un endroit précis. L’intérêt est surtout de divertir des forces ennemies d’un objectif jugé important ou fragile. Mais, avec de la chance, on peut aussi provoquer un résultat qui permet au défenseur de lancer une véritable contre-attaque pendant le tour adverse !
Les résultats de combat ne sont pas classiques. D’abord parce qu’ils ne comportent pas de perte unilatérale pour l’attaquant. Au pire, ils donnent la possibilité pour le défenseur de contre-attaquer. Ensuite, lorsque des pions disparaissent suite à un combat, ils sont placés dans différentes cases. S’ils sont simplement dispersés (Shattered), ils reviennent gratuitement au tour suivant. S’ils sont détruits, il faut dépenser une carte pour leur retour. S’ils ont été encerclés et se sont rendus, alors il faudra cette fois deux cartes et chaque perte de ce type coûte un point de victoire.
Un certain soin a été porté à l’évolution de l’Armée rouge, traditionnellement un gouffre en terme de pions. Jusqu’en 1944, les « fronts » soviétiques (équivalents des groupes d’armées occidentaux) n’ont qu’un seul pas de perte (contre 2 pour les armées allemandes). Mais à partir de 1942, ces pions peuvent utiliser leur verso, plus puissant, pour signifier l’augmentation de leurs moyens. Voilà encore un mécanisme simple et très pertinent.
La victoire est attribuée de trois façons différentes. Si l’Axe contrôle 3 des 5 objectifs en URSS (Leningrad, Moscou, Sébastopol, Stalingrad et les champs de pétrole de Groznyï), il a gagné la partie. A défaut, des contrôles ont lieu à certains tours pour vérifier si l’un des deux camps a assez de points de victoire pour le désigner vainqueur. Ces points, ce sont les villes, agrémentées de certains événements, dont certains sont automatiques (comme le D-Day) et d’autres dépendent de l’utilisation des cartes. Enfin, toute unité obligée de se rendre rapporte 1 point de victoire à l’adversaire.
Au final, No Retreat! est un jeu facile à jouer, qui délivre un vrai parfum historique et qui dispose de deux éléments de hasard : les dés d’une part et les cartes d’autre part, l’un pouvant compenser l’autre. En outre, avec six scénarios plus la campagne, c’est un jeu qui bénéficie d’une très longue durée de vie et qui peut servir à initier des joueurs novices.

À L’EST, QUOI DE NEUF?
Même s’ils ne sont pas fondamentaux, on relève de nombreux changements dans la version Deluxe. Tout d’abord, un nouveau résultat de combat fait son apparition : le « Contre ». Un des hexagones attaquant reçoit un marqueur « Contre » qui obligera le défenseur, lors de son tour, à attaquer, à moins qu’il ne se décide à reculer. Il s’agit de représenter la réaction du défenseur face à une tête de pont: tenter de la réduire ou bien se retirer.
D’autre part, l’hiver est coupé en deux conditions météo différentes. Il commence par la Neige (Snow) classique, suivi d’un nouveau temps : l’hiver long (Long Winter) qui limite plus la mobilité. À vrai dire, ces noms sont assez mal choisis, car le premier temps représente plutôt le Gel (Frost) et le deuxième la Neige.
Concernant les cartes, une demi-douzaine d’événements changent de nom et quelques autres voient leurs effets légèrement modifiés. De plus, par l’ajout de 14 cartes, c’est bien une trentaine d’événements nouveaux qui sont introduits. Certains d’entre eux permettent de tirer de nouvelles cartes supplémentaires, à condition de lancer plusieurs attaques ce tour-ci, ce qui permet de simuler des offensives de grande ampleur. Ces nouveaux événements sont globalement intéressants et contribuent au renouvellement des parties. Pour en finir sur ce thème, une carte « Joker » fait son apparition. Le joueur qui l’utilise peut changer entièrement sa main, mais donne alors ce Joker à son adversaire qui pourra faire de même.
Sur le plan des soutiens, les règles ont été remises à zéro. Il n’est plus possible de dépenser des cartes pour obtenir des soutiens en attaque ou en défense. Désormais, chaque camp dispose d’un seul pion soutien, dont la valeur est déterminée par la possession de l’initiative. Ce pion n’est utilisé qu’une fois seulement par tour, mais gratuitement.
L’utilisation de pions cadre a été, elle aussi, entièrement refondue. Les pions cadre sont des unités qui peuvent apparaître lorsqu’un pion ami est détruit, ce qui permet de boucher les trous. Cependant, ils ne peuvent attaquer. De la même façon, on retrouve les pions Abteilung qui permettent à l’Axe de retirer du jeu une de ses armées d’infanterie et de la remplacer par deux pions qui, comme les cadres, ne peuvent attaquer. Ce principe est étendu à l’Armée rouge, avec ses « fronts fortifiés ». De plus, un pion Abtellung mécanisé fait son apparition.
Dans la version VPG, les armées des alliés de l’Axe (Hongrois, Roumains et Italiens) n’avaient qu’un pas de perte et le verso du pion servait comme « cadre ». La version GMT a isolé les cadres sur des pions prévus uniquement à cet effet. Le verso des armées alliées indique désormais le nombre de tour qu’il faudra pour que ces unités reviennent gratuitement en jeu, ce qui change radicalement les choses pour l’Axe.
Dernière innovation, un pion « Réserves » est disponible pour le joueur soviétique. Celui-ci n’a pas le droit d’empiler ses unités avant 1945, ce qui le fragilise énormément en cas de perte, puisqu’un de ses pions disparaît purement et simplement du plateau. Le pion réserve n’a aucune valeur de combat, mais peut s’empiler avec un front et attaquer avec. Son rôle est d’absorber une perte, en préservant ainsi le front qui, lui, dispose d’une force de combat.
Globalement, il n’y a donc pas eu de changement révolutionnaire des règles. Toutefois, ces modifications renforcent la cohérence du système et l’améliorent sans pour autant le compliquer.

À VOUS DE CHOISIR
Petit bonus à cette édition Deluxe, un code nous est donné pour télécharger sans frais sur le site de VPG un supplément solitaire. Nul doute que ce procédé ait pour but de rappeler aux clients de GMT que c’est VPG le premier éditeur de No Retrat! Ce téléchargement permet de récupérer 12 cartes uniquement prévues pour le jeu en solitaire ainsi que des règles spéciales. La version Deluxe contient déjà les quelques marqueurs associés. Dans la partie en solitaire, le joueur joue les deux camps, mais en incarne un en particulier. Lors d’un tour de vérification de victoire, une carte solitaire est tirée. En fonction du nombre de points de victoire par rapport au seuil nécessaire pour l’arrêt du jeu, cette carte peut obliger le joueur à changer de camp et à poursuivre la partie. De plus, elle indique au joueur quels sont les objectifs que Hitler a désigné pour les mois à venir, avec à la clé des points de victoire.
Lorsqu’il n’incarne pas son propre camp, le joueur est encadré par des règles générales du type : « ne jamais abandonner une ville-objectif » ou bien « toujours garder une carte en main ». De plus, lors des combats, le comportement du défenseur est dicté par le tirage d’une nouvelle carte solitaire, indiquant combien de marqueurs de contre doivent être posés sur la carte. Le but est d’introduire un certain nombre d’incertitudes, afin d’obliger le joueur, dans le doute, à jouer avec autant d’application son camp que le côté adverse. Ce module est loin d’être essentiel au jeu, mais il peut apporter un cadre à ceux qui éprouvent des difficultés à jouer en solo. Les autres vivront mieux sans. Quoi qu’il en soit, No Retreat! Deluxe est en excellent jeu, tout comme l’original. Il permet de jouer avec une version très stable du point de vue des règles, qui ont bénéficié de l’expérience de plusieurs années de commercialisation. De plus, la possibilité de disposer d’une version aussi soignée sur le plan matériel est assez appréciable, même si cela se fait au détriment du côté passe-partout de l’édition originale qui ne nécessitait que de très peu de place pour être jouée. Pour ceux qui découvrent le jeu, la version Deluxe s’impose.
Pour ceux qui possédaient déjà la version VPG complète, l’achat est plus discutable. Les nouveautés dans les règles ainsi que la qualité du matériel peuvent toutefois constituer de bons éléments de motivation.

Qualités : jeu simple au système intelligent et à l’historicité très bien restituée. Règles bien ajustées depuis la version originale.
Défauts : jeu plus encombrant que l’original.